Moi le simple rocher…

Voix : Michel Tissier

 

 

Comme un temple dressé, gardien de l’océan
Battu par le vent sur ton socle inébranlable,
Témoin muet et fier, solide et immuable
Mémoire du monde, de l’eau et du néant,

À ceux qui écoutent, tu racontes ta vie.
Les moules, le lichen accrochés à ta peau
Comme l’onyx, mouillée ; ils ne sont qu’oripeaux,
Éphémères lambeaux, coquilles de survie :

« Je surplombe les flots et défie la tempête
J’ai vu des galères, des boutres, des galions.
Frappés à la drisse, les plus beaux pavillons
Gonflés d’espérance, partir à la conquête.

J’ai vu l’homme libre et l’homme portant des chaînes,
Des héros dont l’écho porte encore les noms :
Flibustiers, corsaires, pirates aux surnoms
Flottant dans l’air marin, tels la fièvre quartaine.

Passent pourtant les jours, les mois et les années,
Le printemps et l’automne et l’hiver et l’été
Et l’enfant qui grandit et le vieil entêté
Et l’arbre qui se meurt et les roses fanées.

Rien ne résiste au temps ! Mais moi qui vous regarde
Je conte votre histoire et vous plains de ne voir
Le soleil sur la dune et la mer en miroir…
Moi, le simple rocher, je suis… celui qui garde. 

Je conte votre histoire et vous plains d’être sourds.
Sourds aux chants des oiseaux, au silence, à la terre.
Vous gaspillez vos jours à vous faire la guerre
Moi le simple rocher, je suis pétri d’amour. »

DSCF1839

 

 

Écrit en alexandrins, ce mètre si propice à l’épopée, j’ai souhaité adopter le point de vue d’un rocher, employant en l’occurrence, le procédé de style très prisé des fabulistes : la prosopopée.

Un rocher qui s’adresse aux hommes dont la vie est si courte et qui  gaspillent leur temps, sans voir la beauté de ce qui les entoure…

Le premier quatrain, semblable à une introduction et le dernier, à une clausule, alternent masculine-féminine-féminine-masculine, contrairement aux autres strophes où les rimes, également embrassées, commencent et se terminent par une rime féminine.

 

20 réflexions au sujet de « Moi le simple rocher… »

  1. Bonsoir Eleusis
    Que de sagesse et d’humilité exprimées…!
    Je me sens si petit devant ce simple rocher au grand coeur rempli d’Amour…

    Merci pour ce beau poème Eleusis

  2. Touchée en plein cœur ! Merci à ma petite Catoune d’avoir partagé le lien vers ton site, Eleusis. Que c’est beau ! En écho me sont venus spontanément les vers des « Conquérants » de José Maria de Heredia. Oui, oui, rien que ça …
    J’adore !
    (et je vais TOUT lire … en prenant le temps de savourer)

    • Vos mots si spontanés et enthousiastes me vont droit au coeur…
      Merci me semble un terme bien pâle pour exprimer mon sentiment…
      Revenez quand vous voulez, vous êtes bienvenue.
      Eleusis

  3. Ce rocher c’est le sphinx, ce chat des origines, ce matou de granit, tourné vers le grand large.
    Il observe les flots qui, inlassables, vont à l’assaut de la terre en longs baisers d’écume…

    Peut-être, du fait que je suis chat (siamois de surcroît) ai-je une vision légèrement biaisée ?
    Plus que du Hérédia, je miaulerais qu’il y a du Eleusis dans ce poème…

    • Un chat peut-il passer par le chas d’un rocher, plus étroit encore que celui d’une aiguille ?
      Un Yoda Chat sans doute…
      Merci pour ta lecture, je te pardonne ta prétention de Sphinx car j’admire ton esprit.

  4. Bonjour Eleusis, un rocher qui est loin d’être touché par l’érosion de jolis vers.
    Je le verrai bien siéger au milieu de pacifique d’où le nom aurait inspiré la force de ton message. ;-))

    Amicalement.

  5. Merci ! Mon rocher a donc su attendrir la pierre.
    Quant à mon regard, je suis très honorée qu’il touche la plume d’un poète…
    Belle soirée

  6. Un roc qui a du nez et qui me pique.
    Il pourrait être presque île s’il en était cape …
    quand chez moi gît l’bras tard…

    Bon, je reprends un peu de hauteur pour faire un plongeon dans tes mots.

    Bises amies de

    Michel-Olivier…

  7. J’imagine les vagues de l’océan, violentes, qui se brisent sur le rocher que l’écume blanche et parfumée vient lécher, dans un long râle amoureux…. Oui, j’imagine !
    Et je sonde aussi la profondeur de ta propre essence poétique, en lisant l’immense travail d’écriture ainsi accompli.
    Amicales pensées

  8. Merci, cher poète !
    Je suis heureuse de l’image que tu me renvoies et c’est à mon tour de sentir les brisants couverts d’écume…
    Bises

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