Mai, masque d’avril, Averse de larmes en roses bleues Mai railleur, sur ton nuage ventru Mai qui aime et qui pleut Mai rageur au-dessus des nids Dans ta camisole de gris Tu effeuilles la marguerite Et tresses le chiendent !
Tu tangues, comme le navire, Baisant le cou, marbrant le sein, Des embrassements de printemps Aux ruptures hivernales De la brise du sud à l’aquilon Du mot susurré au rugissement de lion Sur ma peau nue, Masque d’avril,
Le ciel s’est dévêtu, il s’exhibe bleu nu La nuit encore une fois a perdu son empire Et le jour la poursuit dans son antre ténu, D’un amour sans issu. Et la lune soupire…
Sur son trône aux couleurs, Junon fait la roue. Tandis que Cupidon, joufflu et maladroit, Savoure quelques traits que le destin dénoue, Phébus, l’astre vainqueur, s’est juché sur un toit !
La rose au corps fané contemple les bourgeons Elle était reine hier, aujourd’hui elle pleure. Le cœur devenu gris d’un coup de badigeon Elle courbe le col sous la faux qui l’effleure.
Le tilleul engourdi s’étire en gouttes d’ombre… Sur les yeux alanguis à l’abri d’un recueil, L’été comme un amant que le désir encombre Avale un thé glacé et attend sur le seuil.
La mer a replié son immense éventail Dans le sable, incrusté, un petit coquillage Ses lamelles en rang autour du gouvernail Broderies de papier, écument son corsage
Vestiges : ses écrits, la bruine de son sein Quelques morceaux de bois ou quelque algue jaunie Des sédiments marins, un hermite malin Les voiles à l’abri, l’heure est à l’accalmie.
Vêtus de chauds manteaux, quelques enfants s’ébrouent Le soleil dans leurs yeux azurent le ciel brun Quand à l’ouest fatigué, les rayons blancs s’échouent Ils bravent l’avenir en se tenant la main.
La mer a replié son immense éventail Enfouissant son secret, les lettres qui l’émaillent Les sept Sages chinois sont peints sur le fermail Maisà l’ouest fatigué, les rayons blancs s’écaillent.
Comme un temple dressé, gardien de l’océan
Battu par le vent sur ton socle inébranlable,
Témoin muet et fier, solide et immuable
Mémoire du monde, de l’eau et du néant,
À ceux qui écoutent, tu racontes ta vie.
Les moules, le lichen accrochés à ta peau
Comme l’onyx, mouillée ; ils ne sont qu’oripeaux,
Éphémères lambeaux, coquilles de survie :
« Je surplombe les flots et défie la tempête
J’ai vu des galères, des boutres, des galions.
Frappés à la drisse, les plus beaux pavillons
Gonflés d’espérance, partir à la conquête.
J’ai vu l’homme libre et l’homme portant des chaînes,
Des héros dont l’écho porte encore les noms :
Flibustiers, corsaires, pirates aux surnoms
Flottant dans l’air marin, tels la fièvre quartaine.
Passent pourtant les jours, les mois et les années,
Le printemps et l’automne et l’hiver et l’été
Et l’enfant qui grandit et le vieil entêté
Et l’arbre qui se meurt et les roses fanées.
Rien ne résiste au temps ! Mais moi qui vous regarde
Je conte votre histoire et vous plains de ne voir
Le soleil sur la dune et la mer en miroir…
Moi, le simple rocher, je suis… celui qui garde.
Je conte votre histoire et vous plains d’être sourds.
Sourds aux chants des oiseaux, au silence, à la terre.
Vous gaspillez vos jours à vous faire la guerre
Moi le simple rocher, je suis pétri d’amour. »
Écrit en alexandrins, ce mètre si propice à l’épopée, j’ai souhaité adopter le point de vue d’un rocher, employant en l’occurrence, le procédé de style très prisé des fabulistes : la prosopopée.
Un rocher qui s’adresse aux hommes dont la vie est si courte et qui gaspillent leur temps, sans voir la beauté de ce qui les entoure…
Le premier quatrain, semblable à une introduction et le dernier, à une clausule, alternent masculine-féminine-féminine-masculine, contrairement aux autres strophes où les rimes, également embrassées, commencent et se terminent par une rime féminine.
Comme un amant aux doigts habiles, Éole, à la bouche marine, Insuffle une brise câline : Doux, sur mon visage immobile.
Son souffle est le chant de l’aède, Un hymne oublié des marins ; Du muguet, la senteur d’un brin. Il s’insinue sur ma peau tiède
Sa langue légère est taquine, L’aréole des seins frissonne. Tandis que le vent papillonne, Un refrain murmure en sourdine…
Le flux et le reflux de l’onde Au rythme lent et régulier, Bercent la coque d’un voilier Gréé pour parcourir le monde.
Quelques gouttelettes d’embrun, Vent couvert sur mon ventre nu. Au loin, l’horizon inconnu, Dans le ciel, un plumage brun.
Écrit d’abord sans forme particulière, l’octosyllabe s’est ensuite imposé comme un rythme régulier. Tu peux également remarquer que le premier, le troisième et le dernier quatrain n’alternent pas les rimes féminines et masculines, contrairement aux deux autres. J’ai souhaité exprimer une douce communion avec la nature et entre les principes féminins et masculins…
Le ciel rugit Les nuages éventrés crèvent Ventre tiré, un tambour résonne Les cordages crissent Un mât dérape et frappe Les dieux sont sourds
Des débris de bois valsent Sur la mer, couleur terre Bourrasque divague Cris en rafales Des hommes sans amarre Giboulées d’horreur
Les rouleaux avalent leurs proies Clandestins aux abois Coulent Faux pays de Cocagne Vingt mille lieues sous les mers L’espérance est amère
Le silence hurle sa détresse Charybde, Scylla Ultime adresse Frontières de l’indifférence Né ici ou là Au revers de la chance.
Je dédie ces vers à tous ceux, quels que soient leur nationalité, leur âge ou leur sexe, qui fuyant la misère ou la tyrannie ou bien souvent les deux, sur des embarcations payées au prix fort, ne finissent pas le voyage et trouvent la mort. Je pense aussi à leur famille, restée au pays et à leur souffrance… Et si vous ne connaissez pas le livre de Laurent Gaudé Eldorado, je vous suggère de le lire : concis, sobre, il donne une approche personnelle de ces naufragés de la vie, de la société, de l’humanité.
La terre de juillet sème en batifolant Le blé chaud sur sa peau, la pêche en demi-ronde, Juteuse, dont le suc inonde la rotonde. Dans son sillon béant, un oeillet rouge et blanc.
Le corps est trémulant du sang d’août en son flanc. Les joutes en son sein sont le sel qui féconde, Essaime des enfants dans sa forme gironde. Mystère du vivant, joué dans son élan.
Septembre rouge et or s’estompe, neuvième. Un chant de baryton s’élève doucement Dans l’ombre de l’été, comme un épanchement,
Octobre a expiré sur l’antépénultième. Dans un râle navrant, l’automne a trépassé. Va la fleur chavirant sous l’hiver cuirassé.
Il joue à cache cache et se rit du Printemps, Dispense ses rayons avec parcimonie. Aux belles, il conte le renouvellement, Elles se dévêtissent, il souffre d’atonie!
Sur les bourgeons rieurs, il sème la torpeur, Guette leur ouverture et baisse sa tenture ! Cruel, des mortels il attise les humeurs, Se gausse de leurs pleurs en sa villégiature.
Aux caresses de cet inconstant Immortel, Astre aux feux volages, tantôt tiède ou brûlant, Je choisis, de l’amour, la morsure charnelle : Sur ma brune toison, la bouche de l’amant.